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Fanny Mathieu

Laissons fleurir nos filles

Ma fille

La lune s'est levée

Sens-tu le mouvement de tes ancêtres

Caché dans ton espace?

Née du sang et du lait

C'est maintenant que ton utérus se réveille

Et que coule ton pouvoir

Entre les vallons de ton amazone

N'aie peur des rivières

Ou des courbes avenantes

Dans l'ancrage de ton feu si vital

Tu es, seras les racines de toi

Dehors, sous la brume parfumée

Hurle et danse tes rythmes

Tisse, tisse ta chevelure utérine

Et jardine cette fleur endormie

À ton oreille

Mes mémoires se livrent

Sois l'ouragan des miennes

Et repars avec celles qui t'inspirent

Ma fille

La lune s'est levée

La forêt est la tienne

Loin et là, je suis et serai

Ma louve de cœur et de chair

V'là le tambour de ta terre

J'ai envie de vous parler d'un sujet dont on parle peu et que nous ne remettons pas en question.

Cela touche toutes les femmes…

… surtout si vous avez une fille, une jeune sœur, une nièce, une amie. Que vous côtoyez des adolescentes. Ce sont les plus vulnérables à l'influence de nos blessures et de nos pensées.

… surtout les mamans, enceintes, qui accouchent ou qui allaitent. Qui s'obligent à être mère, juste mère, alors qu'elles sont aussi humaines,

femmes et amantes.

Elles ne sont ni saintes, ni pures, ni fragiles, ni vouées à être constamment de marbre. Elles sont libres, sauvages, fougueuses et sensuelles.

Elles ont un corps, une identité et des droits, leurs droits, leurs choix de vie.

Non, elles ne sont pas stagnantes.

Elles ont une libido, des hormones, des désirs, des limites, des envolées érotiques. Qu'elles aient quatorze ans ou soixante ans.

Elles rythment au son des passages, des cycles, des saisons, des lunes et recréent une nouvelle mélodie à chaque saignement.

Ça semble compréhensif pour l'instant, logique même…

… mais nous l'ignorons sans cesse dans notre quotidien. Sans y faire attention, dans le silence de nos gestes ou de nos paroles.

On sait tous ce qu'est l'hypersexualisation.

On la décrie, on la nomme, on la ridiculise, on s'insurge contre elle à toutes les sauces. Avec raison. Cette perspective malsaine de nos corps est souvent ancrée dans la culture médiatique : publicités, cinéma, vidéoclips, vêtements, etc. Elle est plus ou moins dominante selon le pays où nous habitons. Le corps des femmes n'est pas autant objectifié dans la culture québécoise que chez nos voisins américains. Heureusement! Mais il y a encore un bout de chemin à faire côté respect dans notre propre société. La majorité des gens sont conscients de l'effet dévastateur de l'hypersexualité chez nos filles et de plus en plus les langues se délient et des changements se font. Je les applaudis avec ferveur, mais avec un sourire en moins. Parce qu'au lieu de tendre vers l'équilibre, on s'acharne à tomber dans un autre extrême. Lequel, d'ailleurs, à toujours été présent autant que l'autre. De façon sournoise, bien emmaillotée dans l'éducation. Voyez-vous venir ce dont je veux parler?

La désexualisation.

Je vous entends. De que c'est cette affaire là?

Vous ne trouverez pas vraiment d'articles à ce sujet. J'ai cherché sur google. En français, en anglais. On n'en parle pas. Il n'existe pas. En fait, il est bercé par beaucoup, entre autres dans nos cellules familiales. Et c'est important de souligner que ce n'est la faute à personne. Souvent il se cache derrière l'hypersexualisation, car ils ont des racines cousines et qu'une situation peut alterner entre les deux. Point d'équilibre chez les humains, on aime les polarités mais moins ce qui se trouve entre les deux. La désexualisation, cette oubliée, est tout autant violente que sa comparse de toujours.

Main dans la main, provocation et pureté se promènent dans les cultures humaines, créées par nos propres schémas parasites.

Et derrière, qui oublie-t-on? L'équilibre. Celui qui est. Ni dans "l'hyper" ni dans le "dé". La sexualité inhérente au corps, quoi. Le chi, le prana, cette énergie vitale dans lequel nous puisons chaque jour pour vivre. La sexualité dans son sens le plus large et non pas juste dans le confinement génital de ce que l'on perçoit d'elle. Si vous allez d'ailleurs lire sa définition sur google, elle est bien plus qu'un frottement d'organes ou de pulsions érotiques. Elle est la base de la vie, de nos désirs, de nos attachements, de notre confiance et de notre rapport à notre corps. Cette sexualité, la nôtre, se tisse dès les bercements utérins.


" Elles ont une libido, des hormones, des désirs, des limites, des envolées érotiques. Qu'elles aient quatorze ans ou soixante ans. "


J'écoutais une émission il y a quelques mois. Un débat sur le fait ou non de laisser son adolescent de quatorze ans dormir chez son chum ou sa blonde. La question du genre s'est soudain immiscé dans la conversation. Un garçon, c'est correct. Une fille, c'est mal. Les dents grincent. Les miennes aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Pourquoi ce serait différent? Pourquoi la sexualité d'un garçon est-elle pleinement acceptée, mais celle d'une fille… oula, c'est le drame. Cela va au-delà de la protection et de l'insécurité parentale. D'ailleurs, elle a le dos large parfois et nuisible dans certains contextes. Ça m'a fait réfléchir. À notre façon d'éduquer, de parler et d'agir envers nos filles.


Nous les brimons sans cesse.

Nous hypersexualisons leurs corps, nos corps, celui de toutes les femmes, pour mieux les désexualiser par la suite.

Même une fois adulte, on continue le refrain, mais avec moins d'importance et juste dans certaines situations bien ciblées.


Nous sommes constamment ballotées entre le stéréotype de la pute et de la vierge (pardonnez l'expression). Et si on choisissait le milieu?


Quand nous désexualisons nos filles, nous les brimons. Nous leur envoyons le message que c'est mal, interdit, honteux. Le "nerf honteux", vous

connaissez? On ne reconnaît pas leur sensualité, leurs désirs, leurs hormones, leur corps sexué. Une adolescente n'est plus une enfant. On les astreint à une pureté qui n'existe pas. Soit elle s'ancre dans cette idée et le perpétue, soit elle se pousse dans l'autre extrême, dans l'hyper. L'adolescence est un passage chaotique, fait de changements, d'affirmation et de reconnaissance. Une phase identitaire importante. Quand une adolescente n'est pas écoutée dans ses besoins et ses désirs, dans toutes ses modulations hormonales, il y a des risques qu'elle se tourne vers ailleurs. Les vidéoclips par exemple. Au-delà de l'hypersexualisation de ces images, elle peut y voir une femme qui aime son corps, qui a confiance en sa sensualité et n'en a pas honte. Mais sous le couvert d'une image plus provocatrice et malsaine, surtout lorsqu'on arrive pas à départir les deux. D'autres adolescentes vont se freiner davantage, allant même jusqu'à l'anorexie. Des peurs, des blocages peuvent survenir. Et si on écoutait nos filles à la place?


On ne peut pas sexualiser un corps. Un objet oui, pas un corps. Car il l'est déjà. Mais on peut l'amplifier (hyper) ou le réduire (dé). Les deux sont néfastes. Un accouchement par exemple, c'est sexuel. Ça prend les mêmes conditions d'intimité et d'hormones. Ça fait partie de la sexualité d'une femme, de son continuum. Le bébé passe par le canal vaginal, mais ça ne toucherait pas sa sexualité? Et les femmes victimes d'abus qui revivent leurs mémoires lors d'un accouchement vaginal, on en fait quoi? Les femmes qui vivent un accouchement orgasmique, on les oublie? Les femmes qui se masturbent lors de la poussée pour diminuer la douleur, on les insulte? Pareil pour l'allaitement. Un sein est sexuel en soi, mais a-t-on besoin de l'hypersexualiser à outrance ou de le désexualiser en niant son pouvoir? Est-ce trop de dire que le simple fait d'allaiter, de toucher son bébé a un impact sur son développement affectif et sexuel? Sommes-nous si honteux de nos corps ou à l'opposé, si pervers? Ne peut-on juste pas accepter ce que l'on voit? Revoir notre définition du sexuel?


Il n'y a pas vraiment de responsables. Nous avons évolué dans cette pensée et les parents n'ont fait que transmettre involontairement ces perceptions. Mais je pense qu'il est temps que nous changions de paradigme. J'ai envie que nous redonnions force, autonomie et confiance à nos filles. Que nos honorons les louves qu'elles deviennent et les passages qu'elles traversent sans les juger, les dompter. Pas juste dans nos paroles ou nos gestes. Dans notre être aussi. Notre rapport à soi a une influence sur nos filles. Montrons-leur une image réelle, honnête et sans artifices.


Quelques idées pour mieux les accompagner…


- Le mot "accompagner" est important. Rendu à un certain âge, on doit les guider, les supporter plutôt que de les encadrer comme on le fait avec les enfants. Ça ne veut pas dire de les laisser faire n'importe quoi, ni d'être ouverte et friendly en excès. C'est instaurer un espace sécuritaire où elles se sentent écoutées, respectées, accueillies. Le jugement, y a rien de plus pire pour nos filles à fleur de peau. Tisser un lien de confiance, être un phare dans leurs expériences.


- S'assurer qu'elles soient entourées par des femmes qui peuvent elles aussi les accompagner. Parfois, elles se confieront davantage ainsi. C'est normal et plus elles grandiront, plus elles auront d'aisance à s'ouvrir avec leurs parents. Ce ne seront pas toujours les premiers dans leur liste. Mais plus on leur offre un espace d'écoute, plus on a de chance de monter dans cette liste et d'éviter une résistance.


- Parlant de femmes, faites-lui découvrir les cercles et les tentes rouges. Les tentes roses sont justement dédiées aux adolescentes. Un endroit accueillant dédié au partage, à la connaissance, à l'ouverture émotionnelle. C'est un cadeau magnifique à offrir à une fille, si elle est d'accord et se sent prête. On ne force pas, on propose. Dans le même thème, faites de ses premières lunes un rituel positif et symbolique. À sa façon, avec votre aide et celui de d'autres femmes de l'entourage. Il est important de marquer ce passage dans sa vie et qu'elle sache que saigner n'est pas une malédiction ni un poids. Que c'est sain d'en parler ouvertement et que ça va lui permettre aussi de faire la différence entre le physiologique et le pathologique.


- Transmettez une image positive de la sexualité et de leurs corps. Elles ne voudront sans doute pas parler clairement de ce sujet. Tout passera dans nos gestes, nos paroles, nos commentaires, notre attitude. Parfois, simplement, en commentant quelque chose à la télévision. En ne jugeant pas les autres femmes. Si votre fille arrive avec un chandail bedaine ou une jupe trop courte, on ne s'indigne pas, on instaure un dialogue. Elles cherchent à définir tout ce branle-bas d'émotions et de changements. Si vous lui faites sentir mal d'avoir des désirs ou de développer leur énergie sexuelle, elles se sentiront brimer. L'interdiction n'apprend pas, elle rebute. Elle donne des goûts de rébellion. L'écoute, la confiance et une ouverture responsable, ce sont des clefs majeurs.

- Utilisez toujours les bons termes anatomiques. Dès l'enfance. Vulve, vagin, clitoris, etc. Ce dernier ne doit jamais être occulté comme cela l'a

été si souvent, même dans les livres de bio. Le plaisir des femmes est encore tabou, pire encore si ces femmes sont des adolescentes. Ne leur transmettez jamais que leurs désirs sont malsains. Le corps ne doit pas être tabou. Les menstruations, la masturbation, la sensualité, les élans amoureux, l'attirance, et j'en passe, tout ceci est normal, physiologique. Si vous n'êtes pas à l'aise avec certains sujets, on fait attention à ne pas le transmettre. Ça peut également être une belle opportunité pour travailler sur soi et ses blocages, ses peurs, son passé.


- N'hésitez jamais à parler de consentement et de limites. Dès l'enfance. Développer en elle le pouvoir de s'affirmer dans son oui et son non. Cultivez cet esprit libre et indépendant, l'autonomie, la responsabilité, le courage. Faites le même travail avec vous-même. Le respect de soi et des autres sont des valeurs primordiales. On ne surprotège pas, on donne les bases pour qu'elle sache elle-même bâtir ses limites. Avec l'oeil protecteur des parents derrière, mais jamais devant. Permettez-lui de s'ancrer dans son propre pouvoir.


- La danse et l'expression corporelle sont des façons magnifiques pour se sentir bien dans son corps, apprivoiser sa sensualité et s'ancrer dans son bassin et son périnée. Se connaître soi est une richesse! Transmettez-lui la connaissance de ses cycles et de ses saisons en l'invitant à tenir un calendrier menstruel. Qu'elle sache reconnaître toutes les subtilités de ses rouages et que ceux-ci deviennent une force dans sa vie. Informez-vous, lisez, suivez des pages inspirantes, visionnez des documentaires à ce sujet. Partagez-lui, laissez-lui des lectures qui peuvent la guider dans sa féminité, sa sexualité. Il y a tant de savoirs en ce monde à découvrir!


Laissons fleurir nos filles.

Laissons nous toutes fleurir.



Lectures inspirantes


Dans le ventre d'Ève - Sylvie Bérubé

Sagesse et pouvoirs du cycle féminin - Marie Pénélope Pérès et Sarah-Maria Leblanc

Sexualité féminine : vers une intimité épanouie - Carlotta Munier

Les voix du féminin : 40 messagères engagées - Collectif

Lune rouge - Miranda Gray

La danse des femmes : rituels et pouvoirs de guérison de la danse orientale - Rosina Fawzia

Le sang de la lune, la physiologie des menstruations - Andrée Hamelin

Rejoindre la lune : le guide des cycles pour une jeune fille - Lucy Pearce

Les trésors du cycle de la femme - Maïtie Trélaün



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