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Fanny Mathieu

À toi qui est contre l'avortement…

Oui, toi.

Toi qui proclame être pro-vie, qui milite pour que l'avortement soit interdit. Je crois que c'est le moment qu'on se parle dans les yeux. Non, même pas, plutôt cœur à cœur, ventre à ventre. Assis-toi bien sur ton siège parce que ça va brasser. Amène aussi ton bagage émotionnel parce qu'on va faire le nettoyage là-dedans tant qu'à y être. Ne me regarde pas avec terreur, je ne vais pas te gifler. À moins qu'après notre discussion, tu continues à nous manquer de respect. Là, ça pourrait dégénérer. La colère d'une femme, ça ne s'éteint pas facilement, tu sais. Une chance d'ailleurs. Parce que la société que tu connais serait bien différente si on avait pas bousculé ça avec notre colère pleinement sensée.

Alabama, Géorgie, Missouri, bientôt l'Ohio, Tennessee. J'oublie sans doute encore bien des états américains. Ne parlons pas non plus du reste du monde, on en aurait pour la soirée. Ça court partout, ça nous fait reculer bien des années en arrière. Le sens-tu cette odeur de répression? Ne les vois-tu pas ces cravates beaucoup trop droites qui te manipulent et te font croire que tes perceptions ont le droit d'emmurer le corps des femmes? Que le gouvernement n'a pas à se mêler de nos ventres, du tien et celui des autres?

Voyons, cesse de gigoter de malaise. Tu pourrais réveiller la colère de tes ancêtres. Car vois-tu, tu as dans ta lignée des femmes qui ont déjà avorté. Dans ton entourage aussi. Mais chut, c'est tabou, on en parle pas. Un peu, toujours, à cause de gens comme toi. Je veux comprendre, tu sais. Je n'ai pas de colère contre toi, je sais que tu n'es pas une mauvaise personne. Mais sache qu'il y en a pleins qui ont cette colère en ce moment et qu'elle est légitime. Donc, on va se jaser un peu. Tes arguments, je veux que tu me les montres et que tu me les expliques. Bien détaillés, bien soutenus par la logique. Pas de comparaison douteuse, d'envolées passionnées, de fin fond de blessure d'enfance… Ah bon? Tu ne peux pas? Parce que tes arguments sont trop émotionnels, right?

Je le vois dans tes yeux la source du problème.

À moins que… à moins que tu sois une personne avide de pouvoir sur les autres. Si c'est le cas, je peux rien pour toi. Et j'espère du fond du cœur que t'es pas politicien. Parce que ton penchant douteux est un danger pour notre propre autonomie. Pour toutes les femmes, pour tout le monde. Juste, va-t'en.


Mais je ne pense pas que tu fasses partie de cette gang là.

En fait, je ne crois pas que tu sois contre les femmes, contre leur droits réellement. Je ne sens pas que c'est la source de ton combat contre l'avortement. Quand je te regarde et que je te porte attention en mettant mes préjugés de côté (même si c'est pas évident, tu viens quand même réveiller ma sainte colère…), je vois des lueurs de blessures. Oh, elles ne sont pas lisibles facilement. Elles se cachent sournoisement derrière ce que tu appelles tes « valeurs ». Protéger ce petit foetus contre le reste du monde, pour Dieu ou pour la vie elle-même qui est si sacrée, même s'il n'en aura jamais conscience. Je comprends, ce n'est pas mal intentionné. Y a une bonne couche d'amour, je le sais. Sauf que… Ton insouciance enfantine est vécu comme un coup de poignard dans le dos, que dis-je, l'utérus de toutes les femmes. Ton esprit est si focus sur l'embryon/foetus que tu oublies la personne le portant, celle-là même qui a des droits fondamentaux. Tu n'as jamais entendu la phrase "mon corps, mon choix"? Non, trop logique, pas assez émotionnel, pas assez spirituellement fugace?


Allons droit au but, alors. Mettons les femmes de côté un instant et faisons comme toi, concentrons-nous sur le "bébé".


Pourquoi crains-tu autant la mort?

Car oui, c'est pas mal une des raisons du pourquoi tu es contre l'avortement. La mort d'un enfant. Du moins, c'est ce que tu visualises dans ton esprit. La réalité est pas mal moins dramatique que tu le penses. Tout le monde naît et meurt un jour. La vie et la souffrance se côtoient, parfois d'une manière tragique, parfois d'une manière naturelle. Je ne te vois pas fondre en larmes à chaque fois que tu manges, que tu bouges, que tu respires. Pourtant, chaque jour plusieurs bactéries, plantes et animaux meurent pour que tu respires. Et vice-versa. C'est une roue constante contre laquelle tu ne peux rien. Un embryon, c'est aussi ça. Oui, c'est précieux, miraculeux, sacré. Je le comprends. Oui, dès la conception, la génétique émotionnelle entre déjà en action. Je le comprends. Mais le laisser partir est aussi sain que de le garder. Tout comme tu peux cueillir une fleur (la tuer) tout en honorant sa grandeur. Accueillir et voir la beauté de quelque chose n'empêche pas d'accepter que la mort fasse son chemin. Un embryon n'est pas encore un bébé, c'est un devenir de bébé. Et si seulement la femme le veut. Tu dois absolument te départir du calcul mort + bébé = horreur = interdiction. C'est juste un expansion de ta propre peur de la mort et une mauvaise perception de ce qu'est un embryon.


Allons, cesse de faire l'enfant, tu es un adulte. Juste ça devrait te suffire comme logique.


Mais attention de ne pas tomber dans l'autre extrême! Le vécu d'une femme enceinte est très différent d'un étranger. Pour celles qui choisissent de garder l'embryon et qui vivent une fausse-couche, le choc et la souffrance qui en résulte doit être accueillie avec respect. Car à ses yeux de mère, c'était son bébé, pas un embryon ou un foetus. Il y a autant de gens contre l'avortement que de gens niant la douleur d'une mère qui perd son futur enfant durant la grossesse (surtout au début). Les deux sont criants d'ignorance et d'aveuglement. Il faut savoir percevoir les choses et les mettre dans leur contexte, comprends-tu?


Attends… Ce foetus a une âme, dis-tu? Peut-être. Et si c'est vraiment le cas, son expérience aura été courte, c'est tout. C'est la vie. Il emprunte un corps, il ne le possède pas. Et si tu savoures avec tant d'intensité le monde de la spiritualité, tu saurais que selon les croyances, l'âme d'un bébé ne s'intègre complètement qu'après sa naissance. Avant ça, il n'est qu'un passager indécis. En d'autres mots, ça ne lui dérange pas de repartir avant d'être devenu bébé. Donc non, il ne sera pas traumatisé. L'horreur n'est que dans ta tête… et pour les femmes à qui tu poses une interdiction. L'avortement existe depuis que le monde est monde. C'est une des facettes des multiples expériences d'une femme. Nous avons le pouvoir du sang, de la vie et de la mort. Est-ce de ça que tu as peur? Les femmes auront toujours recours à cet acte, que celui-ci soit interdit ou non. Mais la qualité de leur expérience, elle, sera plus négative si tu persistes dans tes "pro-vie". Pas juste négative, mortelle pour certaines.


Tu as le droit de ne pas vouloir d'avortement. C'est ton corps, ton choix, ta vie. Personnellement, je sais que je n'avorterai jamais, même en cas de viol. Mais à la différence de toi j'arrive à faire la différence entre mon utérus et celui de mes sœurs. Malgré mon non-vouloir, je suis capable de ressentir leur tourbillon de rage et de douleur face à cette montée de violence contre nos ventres. Comprends-tu maintenant? Comprends-tu que tes perceptions n'ont pas lieu d'être une loi? Que ça déchire le dedans de trop de femmes? Que ça met une pression constante sur leurs épaules à chaque relation sexuelle? J'espère que tu réalises que le viol est moins pénalisé que l'avortement? Y a pas une toute petite parcelle de nausée dans ton cœur à cette idée?


Tu ne veux pas imposer ta perception mais tu trouves qu'il y a trop d'avortements?

Encourage donc les cours d'éducation sexuelle, les cercles de femmes, le partage de connaissances. Favorise l'écoute, l'empathie, l'ouverture. Utilise les bons mots, n'aie pas peur de passer outre les tabous. Parle d'autonomie, de respect et de consentement, chez les hommes comme chez les femmes. Apprends leur à aimer leur corps et à honorer la limite des autres. Ne leur parle pas juste d'ITS, mais de plaisir et de désir. La connaissance amène la responsabilité. Il donne du pouvoir au oui et au non. N'oublie pas de te renseigner toi aussi. Sur le vécu des femmes, leur physiologie, leurs peurs et leurs espoirs. Il est bon que tu saches qu'il n'y a aucun moyen de contraception à 100% efficace. Une femme peut tomber enceinte sous pilule et sous stérilet. Doit-elle alors s'empêcher d'être heureuse sexuellement? Ce sont toujours des accidents. Aucune femme n'aime se faire avorter. Ce n'est pas une partie de bonheur, c'est rough et douloureux pour certaines.

Bref…

Laisse les femmes libres de décider pour leur corps. Ce n'est pas ton utérus, don't touch it.

Réprimer et obliger, par des lois ou des cris, ce n'est pas être "pro-vie". C'est être "pro-ignorance". La vie te dit que c'est un cycle.

Fais la paix avec tes peurs et tes blessures. Nous n'avons pas à les panser pour toi.

N'aie pas peur de notre pouvoir ou de ton pouvoir. Nous saignons à chaque lune, nous savons et vivons la finalité des choses. Honore-nous à la

place. On t'as quand même donné la vie.

Manifeste et déverse ta colère contre les violeurs, les agresseurs, les pédophiles. Pour eux, la prison est légitime. Pas pour leurs victimes.

Avant que tu partes…

Je te respecte en tant qu'individu.

C'est pourquoi je t'avertis de ma rage, de notre rage. Pour que tu puisses évoluer dans ta perception.

Et si tu ne veux pas changer…

Y a des louves qui vont hurler.

Je t'aurais averti.

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