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Fanny Mathieu

S'enraciner par la viande : une ode à la vie

On peut s'enraciner dans son corps de multiples façons. J'ai envie de vous parler de la mienne. De mon retour à la terre par les aliments. De mon retour à mon ventre par la nécessité de la chair. Cette réappropriation ne passe pas par l'apologie d'une religion ou d'une obsession. Je vous parle d'une expérience personnelle, qu'elle vous parle ou non. Je ne vous dirais pas comment manger. D'ailleurs, personne ne devrait le faire. Ce que notre ventre dévore est très personnel et intime. Ne laissez jamais personne vous dicter ce que vous ingérez. Vos vallons corporels sont les vôtres, pas celle du voisin, ni de la société. Pas même au nom d'une sacro sainte écologie, d'un mouvement. Rappelez-vous que les aliments doivent parler à votre cœur et votre corps. Et que celui-ci n'aime pas les extrêmes, ni notre mental. Établir une relation harmonieuse avec notre nourriture, c'est se laisser gorger par la Vie. Encore plus lorsqu'on est femme. Encore plus lorsqu'un enfant prend sa place dans notre ventre.

Contre le plancher de bois oublié

Glissent et s'ancrent mes pieds nus

Jupe qui s'enroule

Vent de l'Ouest qui se faufile par la porte

J'aspire et médite ce moment

Où mes mains reconnectent

Sang qui coule et se dérobe

Source de life, source de muerte

De ces yeux blancs, j'y vois sacralité

Ses écailles me parlent et me racontent

Quand mes mains plongent en son ventre

Je sens

Sentir l'ensemble d'un plus grand

D'une complexité, d'un tout

La chaleur monte et transforme

Devant le rond, je bénis et remercie

Mes racines, mon ancestralité

En chantant tout bas

Cette chair offert à ma chair

Car la vie s'abreuve dans la mort

Dans un tambourinement irrationnel

Jusqu'à une certaine période de ma vie, j'ai toujours vécu une dualité féroce avec la nourriture. Je suis passée de la haine alimentaire à l'amour obsédé des aliments. Quand je détestais, je disparaissais. Les aliments ont une forte symbolique avec l'Énergie, le Chi, le Prana. C'est comme si je refusais de vivre, d'exister. Pas pour me conformer à la société. Parce que j'avais peur de l'intérieur de mon ventre, de ses moindres bruits, de cette impression de ne pas avoir de contrôle sur la suite digestive. Peur de vomir, de laisser mon corps décider, d'imploser. Mes repas étaient de petites bombes à retardement qui me donnaient la sensation de ne plus m'appartenir. De contenir la possibilité d'une mort dans mon ventre. Et lorsque tu es à l'aube de ta puberté, ces peurs déchirent ton identité. Devenir femme, c'est se parer de courbes, d'abondance et de vitalité. Mais quand tu refuses cette dimension, ta féminité s'écroule. Ta masculinité aussi. Tu te déracines pour t'enraciner dans la solitude.


J'ai dû réapprendre doucement, difficilement. Je n'étais pas malade.

J'étais juste bloquée dans un chaos que mes cuirasses avaient enclenché.

On m'a tenu la main et j'ai remonté. J'ai failli perdre pied plus tard, mais connaissant cette espace de mort, j'ai refusé d'y entrer de nouveau. Mais bien souvent, lorsqu'on touche un extrême, on risque de nager jusqu'à l'autre, pour bien effacer toute trace de proximité avec son ancienne expérience. Je suis tombée amoureuse de la nourriture. Aveuglément. J'étais obsédée par l'idée d'avoir l'estomac vide. Je devais manger. Des repas entiers comme collation. Manger même si tu as mal au ventre. J'avalais la nourriture pour avaler mes émotions. Ma féminité se portait beaucoup mieux à ce moment-ci de ma vie, mais il y avait encore bien du ménage et de l'enracinement à faire. Les aliments étaient ma façon à moi de me sentir vivante et soutenue parce que je n'arrivais pas à me sécuriser seul. C'est dans cette période entre autres que je me suis tournée vers le végétarisme. À cause d'un documentaire au Cégep. Moi qui n'aimait pas la viande, je me suis laissée influencer. Je n'étais pas une végétarienne hors pair cependant. Les pâtes et le pain étaient pas mal plus mes amis que les plantes. Mais ce changement alimentaire a eu pour cause de fragiliser mon mental encore plus. Je n'étais pas mieux. J'étais enracinée de moitié.


Puis, un jour, j'ai dévoré deux cuisses de poulet et des étincelles sont passés dans ma tête. La viande que j'aimais plus ou moins avait un goût de vitalité. Du bonheur, de l'abondance. Je ne suis plus devenue végétarienne. J'ai lu, j'ai cherché, j'ai analysé, j'ai ressentis. Mon cœur s'est peu à peu tourné vers une alimentation paléo. Cette évolution m'a permise de m'enraciner concrètement. Pas juste dans mon cœur. mais dans mon ventre, mes pieds, mon esprit. Revenir à la base me permettait de communier avec mes ancêtres. De l'instinctif plus que du contrôle.

L'alimentation Paléo, qu'est-ce que c'est?

Il y a plusieurs versions de ce qu'est l'alimentation paléo. Dans mon jargon à moi, ça veut tout simplement dire revenir à l'essentiel. La base, sans artifices industrielles. Et se permettre des gâteries de temps en temps. De la viande, du gras, des abats, des légumes, des noix, un peu de produits laitiers et un peu de fruits. Pas de céréales, ni de pains ou de pâtes. D'ailleurs, je mange même plus de légumes qu'auparavant. Je mange plus de vert. Je bois des tisanes, je goûte toutes de sortes de plantes médicinales. J'apprends à épicer, à cuisiner, à découvrir et à changer ma vision des repas. Je jeûne parfois, je mange seulement quand j'ai faim. On apprend rapidement à se fier à son corps et à déterminer ce qu'il ne veut plus. Le sucre ne me semble plus aussi excellent que dans ma jeunesse. Les œufs et moi, c'est pour la vie. Et le saumon fumé… du bonbon! Et si on parlait des barres de grillons ou des grillons séchés? Notre culture a perdu le goût de la simplicité alimentaire.

Mais surtout, surtout… Pour moi, ça veut dire manger local et saisonnier. Se rapprocher du 100 % québécois dans sa cuisine. Même en hiver. Ça été le premier changement que j'ai fait avec la nouvelle année. Acheter des légumes locaux seulement tout l'hiver. Si vous saviez comme j'ai hâte à l'été pour manger des légumes verts et des petits fruits. Je savoure ce manque avec volupté. C'est bon parfois d'apprendre à se languir. À tel point que ça m'a fait réaliser l'absurdité des légumes et des fruits exotiques dans nos supermarchés. J'en étais parfois dégoûtée. On ne cesse de parler d'écologie, d'argumenter et de débattre, puis on s'en va magasiner des bananes à -30.

Prôner le véganisme avant le local, c'est quelque chose qui ne fait pas de sens dans mes tripes.

Manger tout végétal en plein hiver québécois, j'appelle ça de la fausse écologie.

Me faire dire que ma p'tite viande locale non industrielle est plus polluante que des avocats et de la noix de coco d'un autre continent me donne juste envie de m'enfoncer dans le bois.

Que la viande soit considérée comme l'ennemie numéro 1 alors que les entreprises polluantes sont légions, j'y vois une grosse absurdité.

Lire des articles qui rallient féminisme et véganisme, qui mélangent patriarcat et viande dans la même phrase, ça blesse mon féminin et ça fait hurler ma louve.

Manger de la viande et du gras à chaque repas m'a permise de m'enraciner bien profondément dans mon corps. De diminuer le roller-coaster d'émotions dans ma tête, de diminuer la sécheresse de ma peau, d'augmenter mon énergie et de faire disparaître mon obsession de manger. Ce n'est pas facile tous les jours quand tu as été élevée aux sucres, mais diantre que ça te recentre! J'aime voir mon frigo plein d'aliments d'ici que ma terre natale a bercée. J'aime l'idée d'encourager des fermiers de ma région. J'ai beau manger de la viande, je suis contre l'industrialisation de celle-ci. Je suis d'accord avec le fait qu'elle n'est que souffrance. On doit pêcher, chasser et élever avec cœur, pas avec du capitalisme.


Quand je me fais un ragoût de cœurs de poulet, je me sens bien dans mon intégralité. Ces animaux là, je les remercie et je les aime avec conscience. Ce n'est pas de l'amour humain, ce n'est pas un amour anthropomorphe. C'est du respect et de la compréhension. Comprendre que nous sommes des particules interreliées qui se nourrissent entre eux. On a une telle peur de la mort, de la souffrance et de la maladie qu'on oublie qu'elles sont une nécessité.


Mon ventre, lui, veut de la viande. Du sang, du gras, de la vie, du mouvement. Quelque chose de chaud, de sauvage. Pas des bouts de brindille. Mon féminin veut être rond et audacieux, pas frêle. D'ailleurs, revenir à la viande a donné à mon corps la possibilité de croître. J'ai atteint un poids que je n'aurais jamais pensé atteindre car je croyais que les os et moi, c'était pour la vie. Mon énergie s'expanse et mon féminin danse devant ce gras qui enrobe. Mon masculin se sent respecté et me donne des forces pour concrétiser mes énergies dans la matière. Dans mes plans futurs, je veux donner encore plus du pouvoir à cette voix en moi. Je veux avoir mon permis de chasse. Je veux apprendre à chasser et à dépecer. Mon énergie sauvage le demande avec ferveur. Parce qu'un jour, on va peut-être perdre certains services. Parce que je veux que mon corps et mon esprit s'éduquent à l'autonomie et à l'adaptation à mon environnement, qu'il devient trop chaud ou trop froid.



Quand je laisse mon esprit gambader et que j'imagine ce je suis, je me vois dans une cabane en bois. Près d'une forêt, avec un petit jardin. Je me vois pieds nus, la jupe qui danse, mes mains entrain de dépecer un animal pendant que mon enfant dort contre ma poitrine. Des bocaux de plantes médicinales traînent sur les étagères, certaines macérant dans une eau près de la fenêtre. Le vent souffle et je me sens enracinée. Plus tard, un bain de minuit avec mon amoureux. Plus tard, un cercle de femmes. Plus tard, un accouchement. Une vie rythmée par des phases et des saisons. Chaque jour, je garde en tête cette image pour m'inspirer dans mon quotidien.

Je suis femme et je mange de la chair animale.

Car elle m'ancre, me délivre et me ramène à moi et mes racines, à la vie, à mon animalité.

À chacune sa façon de se réapproprier son chemin.

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