top of page
Fanny Mathieu

Ce ventre qui s'est ouvert tout grand

Derrière ce rideau un peu glacial, tu l'attendais. Ton p'tit amour. Tu essayais en vain de te créer un nid, mais ce n'était pas évident. Il y avait beaucoup de lumières, de bruits, de gens. L'irréalisme de ton ventre grand ouvert te faisait trembler un peu. Un amas d'émotions te montait à la gorge, aux yeux et tu aurais aimé t'asseoir pour mieux respirer. Rien que pour souffler un peu parce que tu sentais un poids trop immense sur ta poitrine. Il y avait de la joie. Mais aussi des traces d'autres choses. Un rock'n'roll de tristesse, de vide, d'amour, de culpabilité, de soulagement et de douleur. Un bruit de fond. Trop de paroles ennuyeuses. Tu sentais ton visage mouillé et une main qui caressait la tienne. Tu as croisé les yeux de ton chum. Tu pouvais y voir des traces d'inquiétudes. Son masque bleu lui donnait un air beaucoup trop étrange. Peut-être que c'était une amie, une doula aussi. Ou juste toi-même, à t'assurer en solo. Les lumières étaient un peu vives. Et ces picotements… Ton bébé, était-il sorti? Un, deux, trois, quatre. Des blouses partout. Savaient-ils que tu étais là, impatiente derrière ce qui te semblait un mur? Cette infirmière, tu l'aimais bien. Son sourire était rassurant. Ou pas. Elle aurait pu caressé cette larme, te donner un peu d'humanité. Allait-il s'en sortir? Et s'il mourrait? Ah non, il ne fallait pas que tu penses à ça. Il fallait que tu t'accroches à ce bébé. Le pousser en pensées. Comment? Était-ce familial? Césarienne un jour, césarienne toujours, non? Aurais-tu pu? Ce médecin, pourquoi il parlait autant? Des bouffées de chaleur te prenaient. Tu avais soif. Ou pas, c'était plutôt des nausées soudaines. Quand est-ce qu'on approchait de la fin? Allais-tu l'entendre gémir? Tu as fermé les yeux un instant avec des pourquoi. Ton ventre s'ouvrait et toi tu t'émiettais.

Peut-être que c'était prévu. Que ton mental s'était fait une armure bien droite pour affronter ce passage. Que ton cœur s'était ouvert à cette naissance et que tu t'y jetais avec confiance. Tel jour, telle heure, tu savais quand ton p'tit arriverait. Pas de surprise, votre "date" était toute programmée. Ça ne te dérangeait pas qu'on t'ouvre par le ventre. Tu étais bien avec cette décision et tu sentais que c'était la bonne. Ça te soulageait, parce qu'ouvrir ton intimité t'effrayait beaucoup plus. Ou pas. Est-il possible que ça te faisait mal en dedans, ce prévu? Que ça grinçait là, derrière tes seins gonflés, et que tu sentais un vide un peu flou, peut-être immense, dans ton cœur? Qu'au fond de tes désirs, il y avait des écorchures d'abandon et de culpabilité féroce? Comme l'impression d'une mère ou d'une femme qui n'a pas passé par là. Est-il possible qu'on te l'imposait, cette césarienne? Qu'on ne voyait qu'une femme et pas une louve? Que ta confiance se dégonflait devant un médical un peu trop narcissique, un peu trop dans la peur? Qui croyait, vénérait, alors que toi, tu savais autrement?


Peut-être même aussi que c'était totalement imprévu. Que tu avais tout donné. Que tu avais craché, dansé, poussé, mais que les blouses avaient été nécessaires. Qu'il y a eu un danger soudain, du rouge à n'en plus finir, des blocages, des soubresauts d'un p'tit cœur. Ou qu'on t'a volé ta force sans dire, sans respecter. Peut-être qu'on t'a infantilisé, menacé d'un danger qui n'aurait peut-être pas arrivé. Qu'endormis dans un cycle d'interventions métalliques, les blouses ont trop voulu. Que la peur a engendré ironiquement ce qu'elle craignait. L'as-tu accepté, cet imprévu? Dans ton lit, dans tes entrailles, en route vers le bloc? Était-ce une chance ou un deuil? Est-il possible qu'une main bienveillante t'ait agrippé avec assurance pour ne pas que tu perdes pied dans ce tourbillon? Ou étais-tu seule dans cette brume? Tes yeux mouillés regardaient-ils les néons ou ton esprit somnolait ailleurs, pris dans un étau d'une anesthésie un peu trop général? Ton rêve d'accouchement naturel, était-il encore dans ton cœur? Blessé, roulé en boule dans un coin de toi. Ou avait-il fusionné doucement avec la césarienne, les deux s'acceptant mutuellement?


Il y a eu un cri. Un tout petit cri. Un gémissement qui est venu te secouer bien profondément. Les blouses ont ris, t'ont dit qu'il était là. Tu n'y croyais pas, tu n'avais pas l'impression que c'était lui. Ils te l'ont amené. Visage contre visage, doucement, tu lui as soufflé bien des mots d'amour. Ils l'ont laissé contre ta poitrine pour faire un peau à peau dont tu rêvais tant. Tu te sentais un peu perdue dans cette arrivée soudaine. Ton corps figé dans une seule pose aurait bien aimé le bercer. Pas la meilleure position pour l'accueillir, cet amour là. Tu ne savais pas si tu avais des nausées d'affection ou des effets secondaires d'un ventre entrain de se faire recoudre. Peut-être que ton bébé a été amené au loin. Qu'à peine vos regards se sont croisés parce qu'il n'arrivait pas à prendre son premier souffle. Tu pouvais entendre l'urgence d'une situation que tu ne comprenais pas. On oubliait presque que ton cœur lui aussi dérivait, que ton esprit se gorgeait de crainte alors qu'on ne te donnait aucune explication. Ou pas. C'était ton partner de vie qui tenait ton bébé, votre bébé. Tu voyais ses yeux briller derrière ses larmes alors que sa petite tête se collait contre sa peau. Tu aurais aimé caresser leurs visages. Te blottir contre leur chaleur plutôt que contre la table. C'était beau. Mais ce beau te pognait dans le cœur parce que t'étais étendue plutôt que détendue. Peut-être même que cet hôpital ne t'a pas permis de le prendre contre toi. Que ce peau à peau de césarienne n'allait pas encore de soi, que c'était un oublié dans toute cette agitation. Et toi, comme un animal, tu aurais aimé rugir qu'on te l'amène. Qu'on te respecte et qu'on vous rassemble en mettant ce protocole arriéré dans une poubelle. Peut-être même que tu imaginais tout ça dans ton sommeil. Dans cette noirceur anesthésique, l'as-tu senti? Étais-tu proche de la table, proche de ton ventre ou bien blotti contre Morphée? Une double naissance : ton réveil et le sien.


De la part d'une femme, d'une doula, d'une sœur, je t'entends. De la part d'un bébé né par le ventre, je comprends. Pendant que ma mère dormait, je le faisais ce chemin là. Pas de souvenirs, que des mots flous dans mon cœur. Même chose pour mon frère, ma sœur. On sait. Mes premiers regards ont été des étrangers, des blouses. Ma mère a été une louve bien forte. J'aurais aimé qu'elle soit la première et qu'elle ne soit pas ma première peine d'amour. Je sais qu'elle aurait aimé que ça soit autrement. C'est notre histoire et elle en a gardé une cicatrice, une belle cicatrice. Si vous saviez comment je suis fière de cette maman. Même si ça fait mal parfois. Même si ça gruge en dedans qu'on m'ait forcé à sortir.

Parfois une césarienne c'est rough dans le cœur et ce tourbillon est vécu différemment par chaque femme. Certaines le vivent de façon harmonieuse. Elles n'ont pas de deuil, ni de souffrance. Ou elles sont bien entourées. D'autres, par contre, ont le cœur criblé de trous. Elles avaient des désirs d'accouchement naturel. Elles sont blessées et désillusionnées. C'est un vide qui peut faire très peur parfois, mais ce facteur émotionnel, on le met en cage. On dit à ces mamans que la santé de leur bébé, c'est tout ce qui compte. Alors qu'elles veulent simplement qu'on leur jase de vrais mots et non d'expressions faussement bienveillantes. Leur souffrance est injustement ignorée par la banalité de la césarienne. Car oui, c'est une opération qui est maintenant considérée comme anodine dans une société où nous la pratiquons à outrance. Plusieurs ont été nécessaires et ont sauvé des vies. Mais beaucoup d'autres auraient pu être évitées. La physiologie est une grande oubliée de notre médecine alors que les deux devraient se tenir par la main. Mais là n'est pas le point. Chaque passage est différent et unique. Ce qui compte avant tout, c'est la maman. Qu'on l'accompagne, l'écoute et la soutienne dans ses choix. Qu'on ne l'abandonne jamais. Qu'on lui laisse la place, qu'on la laisse hurler sa louve sans trop intervenir. Et si césarienne il y a, on répète à nouveau le cycle de l'empathie. On peut même faire des petits rituels pour que cette naissance se passe en douceur dans notre cœur. Pour lui donner un peu de sens.

Et sache que...

C'est toi qui lui a donné naissance. Cet enfant-là, tu l'as juste mis au monde autrement. C'est ton ventre qui lui a ouvert le monde. Tu as été tout aussi louve et forte que n'importe quelle femme. Ne laisse jamais personne te dire que tu n'as pas vraiment accouché. Jamais.

bottom of page