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Fanny Mathieu

Le Slow Moon : sensualité, mouvement et ouverture

Accroupie sur le carrelage, les yeux fermés, elle gémissait les vagues qui la foudroyaient. Elle sentait son ventre se tordre, les contractions monter puis redescendre selon un rythme qui lui échappait. Dans l'obscurité de la salle de bain, elle essayait en vain de se fondre au tempo tandis que son corps cherchait une position plus idéale. Si la panique entrait dans son esprit, la douleur redoublait et la noyait, elle était alors prise de nausée. C'était comme si une tempête déferlait. Le seul fait de penser était ardu. Mais lorsqu'elle décidait d'accueillir toutes ces vagues déferlantes et qu'elle s'ancrait dans son intériorité, tout prenait sens. Elle faisait partie du mouvement. La douleur se métamorphosait, perdait de son caractère souffrant. Au gré de ses profonds murmures, elle retrouvait une animalité perdue.



Ce texte ne décrit pas une femme qui accouche. On pourrait le croire, mais il y a une autre situation au sein de laquelle nous retrouvons cet état si particulier de l'accouchement. Je n'ai pas vécu ce passage

encore dans ma vie, pourtant j'ai écris ces lignes suite à l'une de mes expérience. Les menstruations, vous connaissez? Ce sont deux évènements distincts ayant plusieurs racines communes au niveau physiologique et psychologique. Peu de femmes font le parallèle, car nous n'avons pas appris à relier ces deux passages si intimes. Moi-même je ne l'ai réalisé pleinement que lorsque je me suis retrouvée dans une crise de douleurs menstruelles. Comme un profond déclic. C'est même un baume sur le cœur. On se sent moins seule en sachant que toutes les femmes passent par cet état d'animalité propre à sa biologie. Bien qu'en intensité plus modérée, les contractions menstruelles nous partagent un morceau du futur. Elles nous amènent à la transcendance que nous allons vivre un jour afin de donner naissance à un enfant, le nôtre, si ce chemin de vie nous interpelle.


Revenons à l'analogie avec l'accouchement. Dans les deux évènements, les muscles utérins se contractent. Un bébé, un placenta ou un endomètre (première couche du tissu utérin) est expulsé. Voire même, un orgasme, car la relation sexuelle a aussi des racines communes aux deux premiers passages. Mais ce sera pour un autre article. Les contractions servent donc à laisser couler (abandonner) vers l'extérieur une création ou une partie de soi-même. Elles sont nécessaires et normales, dans une certaine mesure (des douleurs menstruelles handicapantes dénotent souvent un problème sous-jacent - endométriose par exemple). La douleur varie selon les personnes et elle est facilement soumise aux facteurs extérieurs (culture, environnement, historique familial, etc.). Certaines femmes ressentiront durant un accouchement à peine une pression en bas du ventre alors que d'autres seront entrain de vomir durant une période de crampes menstruelles. On peut d'ailleurs comparer les menstruations à la phase de latence d'une femme enceinte, laquelle est la première partie du travail. Alors, dans ce cas-ci, pourquoi une femme ayant des contractions menstruelles doit-elle continuer à se surpasser et agir normalement? On s'offusquerait de voir une femme sur le bord d'accoucher donner son maximum au travail ou à la maison. Mais la réaction n'est pas aussi douce envers une femme vivant ses lunes.


Cette ignorance à l'égard des femmes qui saignent vient entre autres du fait que le parallèle entre l'accouchement et les lunes est occultée de la pensée commune. Un manque d'éducation. Cet oubli fait en sorte que dans notre société de surproduction, nous ne respectons pas suffisamment les femmes lorsqu'elles sont dans ce type de passage. Nous vivons dans une large communauté où l'endurance, le travail et l'action sont des valeurs acclamées. Tandis que le repos, la lenteur et l'intuition sont malheureusement bafouées par la population. Les " SPM " sont mal perçus ou sujets à la moquerie et les femmes sont pointées du doigt lorsqu'elles osent se mettre à leur minimum. L'accouchement devient médicalisé à outrance et on ne laisse plus la femme être une louve, puissante et autonome. Écouter son corps, c'est faire preuve de faiblesse. Le masculin, qui est une magnifique énergie dynamique, est trop souvent mis sur un piédestal contrairement au féminin. Or, le moment des menstruations et de l'accouchement est un temps de douceur, d'intériorité, d'animalité. Profondément intuitif, ancré dans une lenteur quasi sensuelle. C'est être dans une bulle. Mais ce genre de transe fait peur. C'est une énergie d'abandon et nous n'y sommes pas habitués. Et la peur s'exprime souvent chez l'être humain par la haine, la domination ou le déni.

Le Slow Moon


La seule manière de faire évoluer les mentalités est de transformer sa propre façon de vivre. L'autonomie passe par soi-même. C'est pourquoi j'ai inventé le Slow Moon. Je cherchais un terme qui serait en mesure de décrire l'état qui permet de vivre en harmonie ses lunes ou son accouchement. C'est une pensée bien personnelle que je partage et vous pouvez nommer ou décrire ce sentiment de conscience autrement. Si je n'ai pas voulu utiliser la langue française, c'est simplement que je trouvais le duo "lenteur" et "lune" plus mélodieux en anglais. Parfois, certains mots se disent mieux dans une autre langue. Et j'aime beaucoup que l'anglais et l'espagnol utilisent le terme "lune" pour décrire la phase des menstruations. Comme ce mot symbolise aussi la féminité, c'était révélateur de tous les passages de la vie d'une femme.

Le Slow Moon pourrait se décomposer en trois mots signifiants :

Sensualité, Mouvement et Ouverture.

Sensualité

Le mot le plus charmant de notre langue française! Tant par sa signification que par la mélodie de ses lettres. La sensualité est un élément puissant et important de notre féminité (ou le côté féminin chez l'homme). C'est une caractéristique de notre identité qui a été mis à mal au cours de plusieurs époques par simple incompréhension ou méfiance à l'égard de la force qui s'en dégage. Notre sensualité en a beaucoup souffert et nous avons une certaine difficulté à faire la paix avec elle, à pleinement l'accueillir dans notre chaire. La sensualité n'est pas sexualité. Ils sont interdépendants, mais la sensualité est plus vaste et parle sur plusieurs plans. Si on regarde la définition du mot, la sensualité fait référence au plaisir des cinq sens. Encore une fois, le plaisir des sens est réduit aux pulsions sexuelles. Oui et non. La sensualité c'est vivre passionnément et consciemment des moments de notre vie. C'est être présent dans notre corps et de notre esprit à la fois et être à l'écoute de nos sens. C'est prendre le temps, c'est un hommage à la lenteur dans nos actions du quotidien. Les femmes en sont maîtres par leur ancrage féminin et la rondeur de leur corps. Ces deux aspects facilitent l'accès à une conscience sensuelle de notre vie terrestre. Accepter sa sensualité, c'est porter attention à la fois à son corps et à son environnement immédiat. Quand on vit ces moments de passage (lunes, accouchement, etc.) avec sensualité, on se permet de créer une bulle autour de soi afin de bien s'ancrer dans l'expérience du moment, malgré ses difficultés. En intégrant cette sensualité dans notre quotidien, on retrouve confiance en notre animalité. Regarder une femme qui accouche loin des regards : elle est à quatre pattes, nue, puissante, gémissant ses contractions. Elle n'a aucune conscience du temps ou de son environnement. Elle suit le flot, tout simplement.

Mouvement

Absolument rien ne stagne dans l'univers. Il y a un mouvement perpétuel qui entraîne une cascade de changements anodins ou importants. Les contractions ont toujours une fin, il y a un but au bout de l'expérience. Mais pour l'atteindre, il faut se laisser transformer physiquement et mentalement par ce que nous sommes entrain de vivre. La première étape est d'accueillir en soi cette idée, de faire la paix avec ce que nous vivons et vivrons par la suite. Puis, d'accueillir cette transformation en intégrant le mouvement dans ses gestes. La douleur est dépendante du mouvement. Si vous résistez, stagnez dans le refus de l'expérience, elle sera plus vive. Par contre, si vous décidez d'accepter ce passage, si vous suivez votre intuition, la douleur s'apaise et se transforme. Le bassin est la partie du corps la plus importante. Il y a plusieurs mouvements que vous pouvez intégrer: faire des huit avec les hanches, danser, se balancer vers l'avant ou l'arrière ou sur les côtés. Vous pouvez vous appuyer sur quelqu'un ou quelque chose afin de libérer le bas du corps. Ceci enlève une certaine décharge, surtout pour les femmes qui accouchent, et permet des mouvements plus amples. N'oublions pas le ballon, le foulard ou les meubles qui peuvent être de bons supports dans la quête d'une position idéale. Suivez votre intuition. Il y a sans doute une position ou un mouvement particulier qui vous fait du bien. Et il est fort possible que ceci change en cours de route. Personnellement, être en position accroupie ou à quatre pattes m'offre un plus grand bien-être. Si vous êtes obligée d'être au travail malgré tout, apprenez à vous mouvoir naturellement, en vous balançant d'un pied à l'autre. On peut également accompagner le mouvement avec la respiration, les deux créant un rythme qui va entraîner la bulle recherchée, la sensualité nommée plus tôt.


Ouverture

S'ouvrir, c'est accueillir. Dans son corps, mais aussi dans son esprit. Tout comme si vous stagnez, se fermer à l'expérience entraîne des désagréments encore plus grands. Vous claquez la porte aux contractions, vous ragez contre ce passage qui vous semble inutile ; la douleur s'opposera et entrera de force. Pour les femmes qui accouchent, le travail peut parfois ralentir ou s'arrêter. Si on persiste à se fermer, le col s'ouvrira aussi avec difficulté. La douleur, lorsqu'elle est normale, est nécessaire. Elle nous propulse vers la transformation, vers le moment présent. Il y a différence entre douleur et souffrance. Plus vous accueillez et dites oui aux contractions, à l'état animal que vous vivez, plus la douleur sera douce et rythmée. Allant jusqu'à l'extase pour certaines. Cette impression de mourir ou de se noyer lorsque les contractions pulsent dans notre antre utérin est une émotion importante qui marque une transformation, surtout lorsqu'un bébé arrive à la fin de l'expérience. Encore une fois, il faut juste s'ouvrir et se laisser envelopper par l'océan. Réaliser qu'on ne se noiera pas, car on est capable de respirer sous l'eau (c'est une métaphore, on s'entend). Cette ouverture que vous faites dans votre esprit vient apaiser la panique, laquelle amplifie la douleur. Juste se recentrer. Votre corps doit aussi suivre l'élan d'accueil. Ouvrez la bouche, produisez des sons graves. Ces sons vont venir détendre le corps et l'utérus, entraînant un mouvement de méditation bénéfique. Ouvrez le bassin. Les jambes ne doivent pas se coller, elles doivent se distancer. Si vous alignez les pieds vers l'intérieur, vous permettez également une meilleure ouverture au niveau de l'ossature et des ligaments du bassin. N'ayez pas peur d'accueillir cette louve qui sommeille dans vos tripes.


Le Slow Moon est donc de s'approprier ces trois états dans son quotidien, mais tout particulièrement lors des passages importants (lunes, accouchement... sexualité aussi!). Lorsque vous prenez conscience de tous ses éléments là et les intégrez, vous offrez respect à votre corps et votre féminité. N'ayez pas peur d'être à votre minimum! Si on vous le reproche, soyez franche et confiante. Respectez-vous, ne demandez pas trop à votre corps. Le Slow Moon ne fait évidemment pas des miracles et il est important d'avoir un mode de vie équilibré : plantes médicinales, activités douces durant les lunes, alimentation non-transformée, gestion du stress et des émotions, environnement chaleureux, estime de soi, etc.


Et surtout : soyez fière de ces passages que vous avez la possibilité de vivre. Ils vous apportent une force et une profondeur en tant que femme, en tant qu'être humain.

Ces moments font de vous des louves.

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